À la lumière de l’annonce, en novembre, de leur gel, les colonies israéliennes restent vigoureuses, intrusives et constituent autant d’obstacles à la vie quotidienne des Palestiniens. Cependant, ce n’est qu’une conception étroite de leurs conséquences sur les Palestiniens. Les colonies et leur cortège demeurent l’obstacle le plus infranchissable pour un Etat Palestinien souverain. L’existence de ces colonies et leur croissance vigoureuse et continue, continue à entraver le développement économique, la continuité sociale et la balance politique, fragile, des territoires palestiniens occupés en Cisjordanie.
Diviser pour mieux régner: des terres et de la population
Les colonies de Cisjordanie ne sont pas seulement controversées pour leurs conséquences ; la légitimité de leur existence est également un point de discussion. Des nombreuses enquêtes, approfondies, menées sur la légalité, ou (l’illégalité) des colonies juives en Cisjordanie, un seul consensus émerge : leur existence viole la quatrième convention de Genève. L’article en question, l’article 49, stipule en son sixième paragraphe que « la Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. »
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B’Tselem affirme que toute tentative d’utiliser les terres de Cisjordanie au profit des colonies est « interdit et illégal en soi, même si le processus par lequel les terres ont été prises était juste et en accord avec le droit international ».
Dans le même ton, Mossi Raz, membre de la Knesset et du parti Meretz, affirme que « les colons continuent à exercer un contrôle organisé sur les terres [en Cisjordanie] de manière illégale ». De nombreuses autres ONG humanitaires partagent ce point de vue. La Cour internationale de Justice (CIJ) a présenté une interprétation similaire de la quatrième Convention de Genève dans le cas du mur de Cisjordanie en 2004.
Après le verdict, la discussion s’est éloigné de la légalité des colonies, puisqu’il devenait moins porteur pour les organisations pro-colonies de continuer à soutenir un argument déjà décrédibilisé. C’est en soi un développement intéressant, en cela que le verdict de la cour témoigne du pouvoir qu’ont ces entités sur le choix des thèmes de débat sur le conflit.
La première colonie construite en Cisjordanie après son occupation en 1967 fut celle de Kfar Etzion, la même année. Depuis lors, l’expansion des colonies s’est basée sur un projet élaboré destiné à modifier la nature des territoires occupés et d’en faire une réalité immuable, bien qu’illégale. Le projet originel, connu sous le nom de plan Allon, était de diviser la Cisjordanie en deux, avec une bande de colonie juives le long des parallèles. La partie palestinienne devait être gouvernée par la Jordanie et les nouvelles colonies juives par Israël. Bien que le projet n’ait finalement jamais été appliqué, l’ampleur de la croissance des colonies en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) demeure prodigieuse et présente une similitude alarmante avec celles de ce plan infâme. Kfar Etzion, cependant, est restée relativement limitée en termes de taille.
La colonie a été construite sur le site d’une petite communauté juive, construite plus tôt au XXème siècle. Sa taille n’est déroutante que si l’on ne considère pas le contexte. Cependant, comme beaucoup d’entre elles, cette colonie est ici surtout afin de préserver un lien artificiel avec une terre volée. Cette colonie est une communauté agricole, qui, à travers son existence, cherche à faire de la Cisjordanie une partie d’Eretz Israël.
Le plan Allon a été abandonné en faveur de paradigmes moins restrictifs. Ariel Sharon, 28 ans avant de devenir premier ministre, défendait un point de vue où les colonies remplissaient le même but. Pour Sharon, diviser les Palestiniens de Cisjordanie en au moins deux zones séparées était impératif. Une méthode de contrôle employée précédemment par le mandat britannique et toutes les occupations militaires couronnées de succès, à savoir diviser pour mieux régner. De plus, ce projet était plus astucieux ; il impliquait que les Palestiniens ne pourraient plus réclamer leur terre dans le cadre d’un « futur » Etat Palestinien. En théorie, le statu quo serait trop profondément ancré pour pouvoir être remis en cause.
Par conséquent, cela assurerait une présence israélienne en Cisjordanie trop importante pour être supprimée, tout en établissant un contrôle sur le reste des « territoires » palestiniens. Benjamin Netanyahu avait des vues assez proche de celles de Sharon. En 1989, alors qu’il était encore un jeune membre de la Knesset, Netanyahu affirmait qu’ « Israël aurait du dû exploiter la répression des manifestations en Chine lorsque l’attention du monde s’est focalisée sur ce pays, pour mettre à exécution des expulsions massives parmi les arabes des territoires ». Netanyahu cherchait à contrôler le plus de terres possibles, en isolant la population qui y vivait ; il fallait également s’efforcer d’exclure les habitants ou en leur imposer des conditions si rudes qu’ils décident de partir « volontairement ».
Cette référence flagrante et dérangeante à la place Tian’anmen ne fait que refléter l’idéologie de Netanyahu. Depuis lors il s’est fait étonnamment passer pour un partenaire pour la paix, comme le fit Sharon après Sabra et Chatila. Les vues des deux hommes politiques sont aujourd’hui très bien représentées dans le système de colonies. Les projets de colonies se sont poursuivis, jusqu’à atteindre 200 colonies et 560 000 colons en Cisjordanie, en comptabilisant Jérusalem-Est.
La réfutation par Israël de cette statistique est très intéressante. Israël ne reconnaît qu’à 121 colonies le statut de colonies, ou, selon la terminologie israélienne, 121 « communautés. » Israël ne comptabilise pas toutes les colonies illégales de Jérusalem Est, ni les 60 avant-postes dispersés en Cisjordanie dont même Israël reconnaît qu’ils sont illégaux. Ces avant-postes en Cisjordanie sont parmi les plus protégés par les colons idéologiques.
Les très rares fois où l’Etat les a démantelés, ils ont été reconstruits peu après ou déplacés assez près d’une colonie mère afin d’être désignés comme des quartiers environnants. Bien que la divergence de l’entreprise de construction de colonies soit notable, il demeure alarmant que des plans comme le plan de Binyamin Elon soient toujours perçues comme des solutions possibles. Son « plan pour la paix » est basé sur l’exil de tous les Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie, en les « autorisant » à établir une patrie en Jordanie. Ce projet constitue un sommet de racisme : non seulement il considère les Palestiniens inaptes à habiter leur terre, mais il regroupe aussi les Palestiniens et les Jordaniens en un seul peuple.
Cette pensée même n’est pas nouvelle : les Palestiniens ne se voient reconnaître par de nombreuses entités israéliennes que comme des Arabes, ce qui revient à nier leur identité nationale. Ce plan n’a cependant pas été assez bien reçu par Israël et la Jordanie pour créer la sensation qu’il aurait du provoquer. Cependant, de manière assez dérangeante, une figure de poids aux Etats-Unis, le sénateur Sam Brownback, candidat présumé à la présidentielle en 2012, supporte ce projet. D’autre part, des idées tout aussi radicales continuent à être présentées comme de vraies solutions, parfois même par des grands partis de la politique israélienne. C’est le cas notamment d’Avigdor Liebermann, ministre des affaires étrangères du second cabinet de Netanyahu.
Le problème persistant auquel les Palestiniens sont confrontés avec les colonies est leur persistance. D’une part, le parti travailliste, celui-là même dont les leaders ont signé les Accords d’Oslo au nom d’Israël, a été le premier à soumettre le plan Allon. Cela signifie que les colonies constituent un projet sioniste, qui transcende les appartenances politiques. D’autre part, les dernières élections ont rendu le pouvoir décisionnel du parti travailliste quasiment nul et ont donné à l’extrême droite la place pour s’installer. Cela signifie que tout compromis auquel la gauche aurait pu consentir pour obtenir la paix et résoudre le dilemme des colons est désormais noyé dans une spirale idéologique menée par Lieberman.
L’entreprise des colonies en Cisjordanie diffère de tout autre mouvement de colonisation par une puissance occupante dans un territoire occupé, bien que certaines similarités puissent être trouvées. Graham Usher affirme que les colonies « doivent obtenir une certaine indépendance politique, militaire et économique par rapport à leur métropole. Elles doivent parvenir à l’hégémonie militaire, ou au moins à des relations normales, avec les Etats voisins. Elles doivent acquérir une légitimité internationale. Et elles doivent aussi résoudre leurs « problème de populations indigènes » ».
Cette dernière préoccupation, selon lui, est celle des résidents originels des territoires occupés, et Usher affirme que c’est la seule question qu’Israël n’est pas parvenu à résoudre. D’autre part, il reste intéressant de noter, ce qu’Usher néglige ou oublie de mentionner, que les colonies doivent établir une véritable interdépendance. Une telle interdépendance peut prendre la forme de routes de contournement, d’extension d’aires municipales et de juridiction territoriales extravagantes autour des colonies. Cela leur permet de se connecter entre elles, mais aussi de séparer les territoires palestiniens, la raison principale de leur établissement initial. En outre, cette tactique est perçue par de nombreux colons comme la seule façon d’assurer leur survie.
A contrario et comme mentionné supra, les gouvernements israéliens successifs n’ont pas réussi à résoudre le « problème des populations indigènes ». Les tentatives se sont focalisées sur le renvoi des Palestiniens de leur terre natale, mais peut-être plus encore sur leur séparation les uns des autres. Ce changement de paradigme a été opéré pour s’adapter au climat international et à l’intérêt porté à la question israélo-palestinienne. La séparation peut cependant aussi revêtir des formes diverses, notamment par la séparation des Palestiniens de leur lien avec leurs terres. Des arbres, des récoltes ont été ciblées, ce qui a été perçu d’un simple point de vue économique, ce qui est une supposition fort naïve.
Les oliviers symbolisent la profondeur de l’attachement palestinien à la terre de leurs pères et leur résilience face à l’occupation. Irus Braverman défend un point de vue similaire, mais il poursuit son argument et explique que les oliviers déracinés ont été remplacés par des pins, au moins au nord de la Palestine historique, afin de combattre cet attachement des Palestiniens à leurs terres. En outre, à un autre niveau, les colons de Cisjordanie ont pris pour habitude de brûler les récoltes palestiniennes. Cela ne constitue pas un acte nihiliste ou une simple volonté de détruire les terres d’autrui. Au contraire, c’est une tentative de rendre la terre « neutre » d’un point de vue historique, une volonté de détruire les revendications palestiniennes de connexion d’attachement à leurs terres, tout en faisant place nette afin de permettre la formation d’une nouvelle connexion israélienne.
Les colonies de Cisjordanie ont atteint le chiffre de 200 colonies et avant-postes, depuis le plan Allon. Ces colonies accueillent aujourd’hui 560 000 colons. Ces colonies servent des ambitions différentes, comme nous l’avons vu plus haut, mais le contrôle est peut-être la raison la plus évidente. Les colonies visent à contrôler les zones urbanisées ; grâce à leur position géographique, au sommet des collines de Cisjordanie, ils peuvent également mécaniquement surveiller les mouvements des Palestiniens. Les premières colonies, de 1968 à 1977, ont été construites sur des positions stratégiques.
Le fait que les trois premières colonies aient été construites pour entourer Jérusalem Est, occupée depuis peu, n’est qu’une preuve parmi d’autres de cette affirmation. Le raisonnement derrière ces constructions répondait au besoin de séparer Jérusalem des villes palestiniennes environnantes. De plus, cette tendance a continué, puisqu’Israël a continué à séparer la Cisjordanie des Etats arabes voisins. Naturellement, des colonies ont été établies dans la vallée du Jourdain, près de la frontière égyptienne, de Gaza et dans le plateau du Golan.
Pareillement, des colonies ont été construites autour des grandes villes de Cisjordanie, afin de contribuer à ce qui constitue peut-être l’aspect le plus important de division et de la conquête, à savoir séparer ces villes les unes des autres. Cette politique d’isolation rend impossible la continuité territoriale parmi les villes palestiniennes. Dans une région aussi petite que la Cisjordanie, cette continuité, cette cohérence territoriale sont cruciales. Les villes de Cisjordanie sont très petites selon les standards internationaux ; elles se servent donc mutuellement de marché pour leurs biens, leurs hôpitaux ou encore leurs centres d’administration des territoires. Bethléem, Jénine, Qalqilya, Salfit, Tubas et Jéricho sont toutes des villes de moins de 50 000 habitants, ce qui leur interdit tout dynamisme si elles n’ont pas accès à Ramallah, Naplouse ou al-Khalil (Hébron).
Dans les années 90, le processus de paix d’Oslo était l’ingrédient principal du conflit. Il est largement reconnu que la taille et le nombre des colonies ont augmenté de manière incroyable pendant les années 90. ARIJ, dans un rapport de 2008, affirme que de 1991 à 1999, 21 nouvelles colonies en Cisjordanie ont vu leur construction débuter. De plus, Peace Now rapporte que sur la même période, le nombre de colons en Cisjordanie seulement (sans compter Jérusalem Est) a augmenté de 104 000 personnes, une hausse de 110,7%. D’autre part, un argument valide, en faveur de l’accord d’Oslo, peut être avancé, selon lequel Israël aurait établi illégalement encore plus de colonies et construit plus de maison sans l’existence d’un accord.
Le taux de croissance des colonies a en fait diminué dans les années 90. Cela dit, cela était peut-être dû au fait que le nombre de colons augmentait, ce qui fait mathématiquement baisser le rythme d’augmentation. Quoiqu’il en soit, la hausse brute du nombre de colons a atteint son pic (à ce jour) dans les années 90. Les preuves empiriques que les projets auraient été poussés encore plus loin, ou autrement, sans les accords d’Oslo manquent par définition. Cependant, ce qui est sûr, c’est que les colonies grandissaient avant les accords d’Oslo et ont continué au même rythme que dans les années 90 après la fin des accords. Quelque soit l’influence qu’a eu Oslo sur le nombre de colons en Cisjordanie, leur influence, traitée un peu plus bas, fut bien plus notable en ce qui concerne les politiques, avec lesquels elles seront étudiés en temps voulu.
L’eau et les eaux usées
Les colons en Cisjordanie ne partagent avec les Palestiniens que le fait de vivre en Judée ou Samarie ; ils en diffèrent dans quasiment tous les autres aspects de la vie. En Cisjordanie, un territoire majoritairement sec, B’Tselem rapporte que la consommation quotidienne d’eau par personne pour les 48 000 habitants de Tubas est de 30 litres, alors qu’elle est de 401 litres par personne et par jour pour les 175 colons qui vivent à 12 kilomètres de là, dans la colonie de Beka’ot. Les chiffres sont plus proches entre Bethléem et la colonie environante d’Eifrat, avec des consommations respectives par personnes et par jour de 71 et de 211 litres. Le même rapport indique que l’utilisation moyenne quotidienne de la chasse d’eau en Israël est de 55 à 60 litres, soit environ 160% de la consommation totale par personne de Tubas.
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L’organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un minimum par personne de 100 litres par jour. En plus des conséquences évidentes des pénuries en eau sur la santé et le bien être, ces limitations affectent les économies des localités palestiniennes. Les pénuries en eau peuvent avoir des effets dévastateurs pour les 33% des habitants de Tubas et les 17,9% des habitants de Bethléem pour lesquels l’agriculture est la principale source d’emploi.
De plus, cette situation en eau est un obstacle à la vie industrielle. La région de Bethléem est célèbre pour son industrie de pierre de constructions. 15,6% des habitants de Bethléem travaillent dans l’industrie minière, la plupart dans cette branche particulière.
Les opérations de base de cette industrie ne peuvent être réalisées sans de grandes quantités d’eau courante. Plus généralement, dans une autre étude de B’Tselem de 2007, plus de 190 000 palestiniens en Cisjordanie vivent dans des communautés non-reliées à l’eau courante. Au même moment, la consommation moyenne d’eau par personne pour les Palestiniens, dont 14,3% doivent leur emploi à l’agriculture, s’élève à 73 litres en Cisjordanie. A contrario, la consommation moyenne quotidienne d’eau par personne pour les colons est de 211 litres.
Un autre problème majeur concernant l’eau en Cisjordanie est celui des eaux usées. Dans leur rapport, Foul Play et B’Tselem rapportent que 5,5 millions de mètres cube (MMC) d’eaux usées des colonies, 31% des eaux usées produites par les colonies, s’écoule directement dans les sources d’eau de Cisjordanie, vallées, sources ou réserves d’eau palestiniennes. De même, annuellement, 17,5 MCM des eaux usées de Jérusalem Est sont dirigés vers l’Est, vers la Cisjordanie. ARIJ, en septembre 2008, rapportait que toute la population palestinienne de Cisjordanie produisait chaque année 52 millions de mètres cube d’eaux usées, soit deux fois moins que la production d’eaux usées des colonies. Cela signifie que les colons israéliens produisent environ 5 fois plus d’eaux usées par personne que ne le font les Palestiniens de Cisjordanie.
Ce dilemme n’est pas seulement dû à la négligence d’Israël vis-à-vis du bien-être des habitants palestiniens de Cisjordanie, c’est aussi le résultat d’une mauvaise organisation, très inhabituelle pour les colonies. Beaucoup de ces colonies n’avaient pas d’usine de traitement des eaux usées, tandis que beaucoup d’autres disposaient de solutions insuffisance et/ou inefficaces au problème. Dans une audition à la Knesset, Yael Mason, du ministère de la protection environnementale, a indiqué que de nombreuses usines de traitement des colonies « ne respectaient pas les standards requis et polluaient à la fois les aquifères de la montagne et les ruisseaux. Il ajoute que les colonies « n’avaient pas de solution correcte pour les eaux usées ».
La colonie de Bitar Illit fournit un bon exemple. Bitar accueille 34 700 colons et couvre 4685 dunums de terres, principalement des villages de Batir, Husan, Nahhalin et Wad Fuki’n, dans le district de Bethléem. L’agriculture est la principale, parfois la seule, source de revenus pour la plupart des habitants des quatre villages. Bitar est une colonie dont la taille augmente continuellement ; par conséquent, les nouvelles maisons ne disposent pas de nouvelles sources d’eau. Néanmoins, elles sont connectées aux réseaux existants, y compris aux complexes de traitement des eaux usées. Cela a provoqué des accidents parfois catastrophiques pour les villages palestiniens des environs. A titre d’exemple, entre 2006 et 2007, les tuyaux des usines de traitement dans les colonies se sont cassés 25 fois, et ont inondé 100 dunums appartenant aux Palestiniens de Wad Fuki’n. De plus, en octobre 2008, des eaux usées, non traitées, se sont répandues sur les champs de Was Fuki’n pendant 4 jours consécutifs. Ce phénomène est accentuée par la situation de Bitar Illit, considérablement plus en altitude que les champs de Wad Fuki’n ; cette configuration se retrouve dans de nombreux cas de colonies en Cisjordanie.
Les terres agricoles de Wad Fuli’n et celles des villages voisins susmentionnés, sont parmi les plus fertiles de toute la Cisjordanie. Les eaux usées épuisent les ressources naturelles des terres, les rendant moins fertiles, tout en polluant les rares ressources naturelles d’eau, qui ne peuvent être ni remplacées ni réhabilitées. Les eaux usées affectent non seulement le pan de l’économie basé sur l’agriculture, mais contribuent aussi au problème chronique des pénuries d’eau en Cisjordanie, dans la mesure où les eaux usées des colons affectent les réserves d’eau palestiniennes. Il semble ainsi qu’il existe une certaine indifférence de l’administration civile des colonies. Cette impression se voit supportée par le fait que seules les terres et les sources en eau des villageois aient été détruites, et non celles acquises illégalement par les colons.
La population des colonies ne produit pas des eaux usées du seul fait des usages humains de base, mais aussi du fait des eaux usées industrielles. C’est assez évident dans le cas de la colonie Barkan, au nord de la Cisjordanie. Un officiel israélien a rapporté que dans la zone industrielle de Barkan, les méthodes de traitement de produits chimiques hautement toxiques étaient « généralement primitives ». L’eau usée des usines a fui dans la nappe phréatique sous la zone industrielle. Des rapports similaires ont été présentés concernant les enclos des vaches de la colonie de Rosh Tzurim.
Le problème des eaux usées des colonies ne s’arrête pas là. À Al-Birah, Israël a refusé l’autorisation de construire une usine de traitement des eaux usées si le traitement des eaux usées de la colonie de Pasgot n’était pas inclus dans l’usine. Bien que les eaux usées de la colonie soient désormais traitées dans l’usine, le gouvernement israélien refuse de payer pour ce service.
Un autre cas représentatif est celui du district de Salfit. Il s’y trouve une des plus grandes colonies de Cisjordanie, à savoir Ariel. L’usine de traitement des eaux usées d’Ariel était une des moins efficaces de Cisjordanie, avant de s’arrêter complètement en 2008. Depuis lors, Israël a refusé de construire une nouvelle usine, affirmant vouloir en construire une qui soit partagée avec la ville de Salfit. La partie palestinienne a refusé cette proposition, mais bien plus important encore, la banque allemande KFW qui entreprenait le financement de la nouvelle usine l’a rejeté. La raison du refus de KFW était que la banque refusait de financer de telles propositions dans les colonies. La colonie d’Ariel a quant à elle avancé qu’une nouvelle usine coûterait bien plus que ce que le budget municipal ne pouvait se permettre. La partie israélienne a, entre temps, a sapé tous les plans palestiniens consistant à construire une usine de traitement des eaux usées pour Salfit. Israël a tout d’abord arrêté la construction de l’usine, en affirmant que le pipeline se trouvait trop près d’une zone prévue de construction de la colonie d’Ariel.
L’administration civile a ensuite arrêté une autre proposition, en zone C, pour l’usine. D’autre part, ils ont suggéré un emplacement qui multiplierait les coûts de construction. Finalement, l’administration civile a donné son accord pour un projet d’utilisation de la zone B pour la construction, bien que dans le même temps la banque KFW ait suspendu le financement du projet, en raison de l’absence de site consensuel pour la construction. Le résultat, mécanique, de ces tergiversations est que la pluie a continué à grossir le ruisseau d’eaux usées, causant ainsi une augmentation des terres agricoles inondées dans le district de Salfit.
Il est ici non seulement possible de remettre en cause le rejet palestinien du plan secondaire d’Israël, qui consiste à mettre en commun les usines de traitement pour Salfit et Ariel, mais c’est même indispensable pour la compréhension d’un argument crucial. En effet, la partie palestinienne s’applique une règle générale, à savoir de rejeter toute coopération avec l’administration civile ou les municipalités des colonies en Cisjordanie. Derrière cette position, on trouve une logique valable, à savoir que toute coopération avec les colonies légitime leur existence. Par conséquent, bien plus qu’un simple compromis, accepter le projet israélien reviendrait à légaliser et à formaliser l’état actuel des choses.
Des terres et de la sécurité:
Il faut reconnaître que la ressource la plus rare en Cisjordanie et dans le territoire du mandat palestinien en général, est la terre elle-même. Les Israéliens et les Palestiniens vivent aujourd’hui en terre sainte, dont 2,7 à 3 millions en Cisjordanie. Bien que la Cisjordanie puisse sembler ne pas être surpeuplée en comparaison avec Gaza, cela demeure une situation qui peut, et devrait, être améliorée. De la population totale de Cisjordanie, 580 000 sont des colons ; leurs colonies sont construites sur 3,3% de la superficie totale de la Cisjordanie. Cependant, ces colons disposent de la juridiction effective sur plus de 8,5% de la Cisjordanie, pour ne pas parler du fait que l’autorité effective de l’administration civile couvre bien plus que 42% de la Cisjordanie. Dans le même temps, les zones urbanisées palestinienne ne couvrent que 5% de la Cisjordanie, alors qu’elles comprennent plus de 80% de la population. Il est aussi intéressant de signaler que si les colonies de Cisjordanie étaient évacuées, cela résoudrait les problèmes d’habitation de 18% de la population de Cisjordanie.
L’existence de colonies en Cisjordanie est illégale aux yeux de la CIJ et problématique aux yeux d’Israël. L’extension de ces colonies est néanmoins nécessaire à Israël, afin de prouver que ces colonies sont de véritables communautés, dynamiques et vigoureuses, ce qui constitue un argument en faveur de leur existence aux yeux de la communauté internationale. L’illusion de la « croissance naturelle » permet aux dirigeants israéliens d’affirmer leur soutien aux colonies. C’est notamment le cas de Sharon, qui demandait, en 2003 « Vous voulez qu’une femme enceinte avorte, juste parce qu’elle vit dans une colonie ? ». Il y a cependant un fait qu’il est impossible d’ignorer.
Les colonies représentent 6,5% de la population d’Israël, et leur taux de croissance en Cisjordanie est 3 fois plus important que celui du reste d’Israël ; le taux de croissance des colonies est de 5% par an, alors que le reste d’Israël croît d’1,7% annuellement.
On ne peut non plus ignorer que les nouveaux migrants juifs en Israël sont systématiquement dirigés vers les colonies. On les incite, par exemple par des réductions d’impôts, à vivre dans les colonies en Cisjordanie.
La construction de maisons est tout aussi trompeuse. Israël appelle ces nouvelles constructions des « quartiers », pas des colonies, ou des « nouvelles communautés » ; il utilise donc un langage trompeur, manipulateur, pour légitimer ces expansions. Certains de ces nouveaux quartiers comportent vingt fois plus de logements que la supposée « colonie-mère. » Par ailleurs, certaines de ces nouvelles constructions sont trop éloignées de la colonie-mère pour pouvoir être raisonnablement considérees comme partie intégrante de la colonie.
Le rapport annuel de B’Tselem indique par exemple que les autorités considèrent Sensena comme un quartier de le colonie d’Eshkolot, alors que ses habitants se considèrent membres d’une communauté indépendante. Ces « quartiers » ont des noms, une administration et plus généralement des caractéristiques différents de leur supposée « colonie-mère ». Toutefois, leur appellation de « quartiers » par Israël ne peut cacher le fait que ces colonies essayent de contrôler plus de terres et plus de populations palestiniennes.
Les nouveaux quartiers tout comme les colonies-mères font partie d’un projet illégal, de grande ampleur, d’aliénation des terres, accompagnant la construction du mur de ségrégation. Le raisonnement officiellement avancé pour justifier la construction du mur s’appuyait sur la volonté de mettre un terme aux attaques au-delà de la ligne verte par les fractions palestiniennes. En 2002, Ariel Sharon, alors premier ministre, donne son aval à ce projet unilatéral.
L’idée exposée au grand public consiste à séparer la Cisjordanie d’un côté, et Israël et Jérusalem-Est de l’autre. Selon lui, c’était la seule solution pour assurer la sécurité des Israéliens de Jérusalem-Est. La Knesset a ensuite accepté le projet du mur, en 2002, qui mettait 11,2% du territoire de la Cisjordanie du côté occidental du mur, contrôlé par Israël. Par conséquent, le mur, de 645 kilomètres de long selon le tracé initial, incluait quasiment tous les blocs de colonies de la Cisjordanie, en plus de 633 kilomètres carré de terres palestiniennes à l’est de la ligne verte.
Au départ, l’administration civile israélienne et les autorités ont énergiquement nié le fait que le projet de tracé du mur prenait la protection des colonies en considération. Depuis, cependant, l’administration civile a admis que tel était le cas. De plus, les autorités ont cherché à démontrer que le mur ne violait aucunement le droit international, l’administration civile présentant des arguments légitimant leur nouvelle position officielle. Vis-à-vis du public, les autorités se sont mises d’accord pour rendre leurs arguments exhaustifs, en traitant le sujet sous des angles assez nombreux pour que le sujet devienne hermétique.
Tout d’abord, l’administration civile a admis avoir pris l’existence des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est comme un facteur crucial pour le tracé du mur. Durant ce changement fondamental dans l’image publique du mur, les accords d’Oslo sont redevenus extrêmement importants. Israël soutenait ainsi que les accords intérimaires donnaient à Israël le privilège et la responsabilité de protéger les citoyens israéliens de Cisjordanie, c’est-à-dire les colons. Le bureau du procureur affirmait en 2005 qu’ « en effet, une partie du trace du mur a été prévue afin de protéger les habitants israéliens en Judée et Samarie, qui souffrent eux aussi d’attaques terroristes. Cependant, il n’y a en cela rien de mal, puisqu’en accord avec les décisions de la Cour suprême et de l’accord intérimaire, Israël est responsable de la sécurité des Israéliens en Judée et Samarie. Israël croit que la barrière est un des éléments nécessaires de cette protection, dès lors que le tracé est proportionné. ».
Le terme « proportionné » était assez vague pour pouvoir être exploité par la suite. Ce terme, comme celui de « quartier » mentionné précédemment, implique qu’il revient à l’administration civile de juger les limites des colonies. De plus, il laisse les décisions de sécurité, concernant les zones militaires, au commandement militaire en Cisjordanie. Sans parler du fait qu’un tel terme laisse ouvertes quasiment toutes les portes quant à l’interprétation de « proportionné » en termes de longueur et de tracé du mur.
Deuxièmement, les projets n’ont pas pris seulement pris en compte les colonies déjà existantes, mais elles ont également pris en considération l’expansion des colonies et en ont fait un facteur essentiel dans la détermination du tracé du mur. Dans le cas de Beit Sourik, l’Etat s’est lui-même limité, devant la Haute cour d’Israël et pour les projets concernant le mur et les colonies, à ne considérer comme approuvés que les grandes lignes des projets sur le tracé du mur. Aussi partial que le jugement puisse paraître, il rend illégal l’inclusion de projets d’expansion de colonies examinés en ce moment. Cependant, le bureau du procureur d’Etat divergeait sur le verdict.
Lorsqu’on lui a demandé de réagir sur le cas de la colonie de Zufin, le bureau du procureur affirmait qu’ « en projetant le tracé dans la région, l’existence d’un plan en préparation, mais pas encore approuvé officiellement a été pris en considération,». Bien que le cas de Zufin soit observé en détail un peu plus loin, il convient de noter ce cas décisif. Le mur « protégerait » Zufin du sud et de l’est ; dans le même temps, il séparera et affectera en même temps au moins quatre des villages qui l’entourent, sans mentionner la ville de Qalqilya.
Cette nouvelle réalité signifie également que le mur n’est pas censé être temporaire. C’est pourtant la notion que les gouvernements israéliens successifs ont essayé de dépeindre et ont utilisé principalement pour justifier l’argument sécuritaire. Cela signifie que le mur ne sera présent que tant que les coûts pour les Palestiniens seront proportionnés aux bénéfices pour les Israéliens. Cependant, c’est une distinction que nulle entité israélienne n’est en mesure de faire. Cela revient à dire qu’un groupe ethnique décide de l’intérêt d’un autre groupe ethnique.
En outre, l’argument sécuritaire est assez fragile, pour d’autres raisons. Le raisonnement initial derrière la construction du mur consistait à empêcher l’entrée des Palestiniens en territoire israélien. Bien que l’essentiel du groupe ciblé soit composé de Palestiniens sans permis, il est devenu clair durant le processus de construction du mur qu’Israël ne se réjouissait pas non plus de l’entrée des Palestiniens avec un permis.
Ce phénomène s’étend aux tentatives de réduire le nombre de permis donnés aux Palestiniens. Il en découle par conséquent un dilemme, provoqué par le mur. L’Etat est obligé par des mesures auto-contraignantes, d’accorder des permis aux Palestiniens, qui sont séparés de leurs terres agricoles par le mur. Le résultat de ce paradoxe, c’est que si des terres agricoles supplémentaires sont saisies, il sera nécessaire d’émettre plus de permis à des Palestiniens qui en seraient autrement dépourvus. Il est dès lors évident que la confiscation de terres répond à d’autres buts que les seules exigences de sécurité. Il est, en outre, tout aussi clair que plus le mur et la zone charnière, entre le mur et la ligne verte de 1967 (la « Seam zone ») sont longs, plus il y aura besoin de soldats pour la sécuriser.
Un tel phénomène est déroutant, car les soldats dont une cible tout aussi intéressante que les colons pour les fractions palestiniennes. Le degré de danger qui pèse sur la vie des soldats est positivement corrélé au temps qu’ils doivent passer près du mur, ce qui implique que plus de soldats seront menacés puisqu’ils devront garder une plus longue portion du mur. B’Tselem affirme que « le degré de danger est fonction, d’une part, du temps pendant lequel les forces armées sont exposées au danger, d’autre part du nombre de soldats exposés. »
Cependant, l’expérience montre que ces soldats ne stationnent pas près du mur simplement pour le sécuriser. Ces mêmes soldats sont ceux qui conduisent la plupart des opérations militaires en Cisjordanie. Leur existence n’est donc pas stratégique d’un seul point de vue défensif, mais également d’un point de vue offensif.
Troisièmement, après avoir commencé à admettre l’existence de véritables colonies et leurs plans d’expansion, d’autres déclarations ont suivi. Les conseillers juridiques de l’administration civile ont essayé d’expliquer le dilemme de l’expansion des colonies et sa prétendue insolvabilité. Dans leur argumentation, qui par ailleurs ne mentionne pas les conséquences du mur sur la vie des Palestiniens, les conseillers juridiques ont tenté de mettre en lumière les connections entre le tissu social palestinien et la sécurité des colonies. Ils ont ainsi affirme que « l’intérêt s’opposant au tissu social des Palestinien n’est rien de plus que l’intérêt d’un promoteur immobilier israélien.» Le promoteur immobilier israélien en question est ainsi l’entrepreneur des nouvelles constructions dans la colonie d’Hashmonaim (voir ci-dessous). Cela, encore une fois, cela montre que cette politique n’est pas le fruit que d’une simple question de sécurité. En revanche, cela met au jour les bénéfices économiques que l’administration civile israélienne tire du peuplement des colonies et des choix du tracé du mur selon ses intérêts.
Un autre aspect économique vient remettre en cause plus fortement encore l’argument sécuritaire. De nombreux fonctionnaires des colonies ont cité l’importance du mur pour le développement économique des colonies et du secteur immobilier. Cela signifie que le succès d’un projet immobilier dépend, au moins en partie, de quel côté du mur il se trouvera. La demande de nouveaux logements dans les colonies dépend beaucoup du fait que la colonie soit isolée ou non des environs palestiniens. On peut ainsi avancer que dans certains cas, être à l’ouest du mur n’est « pas un simple facteur en plus, mais bien le déterminant essentiel ». Il est ainsi clair que dans ces circonstances de crise économique sévère, ces colonies resteront bénéficiaires de manière bien plus tangible. De plus, les données concernant ce problème demeurent extrêmement rares, souvent inexistantes, ou peut-être dissimulées.
Économiquement aussi, en raison des 43 ans d’occupation, un niveau d’interdépendance s’est formée entre les colonies et les communautés palestiniennes qui les entourent. Dans la colonie de Ma’ale Adumin par exemple, 1200 Palestiniens sont employés dans la zone industrielle près de la colonie.
Ces Palestiniens, tout comme la plupart des travailleurs palestiniens dans les colonies, sont des travailleurs manuels. Bien qu’ils soient payés plus dans les colonies que dans les villes palestiniennes, ils sont traités de manière inégale, ils ne bénéficient d’aucun avantage ni de sécurité dans leur emploi. Ces travailleurs, comme dans de nombreux autres endroits en Cisjordanie, reçoivent des permis pour travailler dans les colonies. Cela fragilise encore l’argument sécuritaire, puisque des permis supplémentaires sont émis.
Puisque ces autres facteurs concernant le mur se combinent, leurs effets individuels sur les Palestiniens s’en trouvent multipliés. Il demeure impossible de mesurer le tort psychologique fait aux Palestiniens, dont les terres sont confisquées, de force. La même famille ou le même village possède la plupart des terres depuis des générations, qui sont devenues une source de loisir et de revenus. Il est plus facile de mesurer l’impact des saisies de terres sur leur situation économique, l’eau, la santé et le bien-être général. Quelques unes de ces conséquences ont déjà été illustrées, mais à moins de les relier à une histoire et à des cas particuliers, il est impossible de montrer les colonies dans leur contexte. Ci-dessous, nous allons nous efforcer de montrer les conséquences supplémentaires des colonies sur la population palestinienne.
Colonies spécifiques:
La colonie de Mod’in Illit, et le cas de la route 443
Le bloc de Mod’in ‘Illit est l’un des plus grands de Cisjordanie. Selon une étude d’ARIJ de 2008, le bloc accueille 47 700 colons, sur une zone urbanisée de 6465 dunums. Le bloc est constitué de la colonie de Mod’in ‘Illit (Quryat Sefer), d’Hashmonaim, de Mahityahu et de Menora. La colonie a été construite sur des terres qui appartenaient aux villages de Nil’in, de Deir Qiddis, de Kharbatha, d’Al Musbah et de Bil’in. De plus, un ensemble de colonies se trouve remarquablement proche du bloc. Lapid, Shilta et Kfar Rut sont toutes construites sur un « no man’s land » selon Israël, ce qui en fait une partie intégrante d’Israël, pas seulement une des « communautés israéliennes en Judée et Samarie ». Les Palestiniens en revanche les considèrent comme une partie de la Cisjordanie occupée, puisqu’Israël en a pris le contrôle après la guerre de 1967.
Comme la plupart des colonies en Cisjordanie, Mod’in ‘Illit a un plan d’urbanisation général, un Master Plan dont la priorité est la réquisition de terres palestiniennes, la plupart possédées par des particuliers, pour la juridiction de la colonie. Le Master Plan étendra le bloc de tous côtés, sur des terres privées palestiniennes provenant des villages susmentionnés. Le Master Plan « fournit des prévisions pour l’année 2020, date à laquelle le bloc de Mod’in ‘Illit aura 25 000 logements et 150 000 habitants. La superficie totale du bloc, routes incluses, sera de 17 302 dunums, dont quarante pour cent sont destinés à être habités, quinze pour cent consacrés à des bâtiments et espaces publics et six pour cent à des routes.
De plus, ce plan doit être réalisé sans considération aucune pour les frontières entre les colonies mineures, tout en intégrant trois autres colonies dans le nouveau bloc de Mod’in ‘Illin. Le nouveau bloc disposera de plus de pouvoir et d’autorité sur les terres palestiniennes des alentours. Un bloc de cette taille n’est simplement pas destiné à être abandonné par la suite.
L’administration civile a fait de ce plan un précédent, pour relier le mur et les projets d’expansion des colonies. Il est devenu évident, de par les faits établis sur le terrain, que le tracé du mur a été conçu en compatibilité avec le Master plan précédent. Des preuves de ces prévisions sont fournies par des photos aériennes, mais surtout par l’aveu, par l’Etat, que « ces projets ont été pris en compte pour déterminer le tracé ». Le fait qu’il existe des ordres de réquisition, portant sur des terres palestiniennes que des projets d’expansion officieux incluent, abonde dans ce sens.
Ces projets ont subi des interruptions, car de nombreuses menaces topographiques et logistiques ont fait dérailler le tracé original du mur. En conséquence, toute la zone sera du côté israélien du mur. Le Master plan se doit de faire naître des interrogations sur l’attention (ou le manque d’attention) qu’Israël a montré sur les conséquences du mur sur la vie des Palestiniens des villages alentours. En effet, en raison de la confiscation de leurs terres au profit des colonies et de la construction du mur, les Palestiniens de ces villages environnants perdront des milliers de dunums de terres agricoles fertiles.
La situation actuelle à Mod’in ‘Illit est un exemple de confiscation des moyens de subsistance et des terres historiques appartenant aux Palestiniens de la région, servant les seuls intérêts de promoteurs immobiliers. Puisque le tracé du mur n’a connu que des changements mineurs, en raison de prétendues menaces sur la sécurité des colons, prétendre que le mur n’existe que pour des raisons militaires n’est pas pertinent. Les problèmes sous-tendus ici sont seulement économiques et politiques, nullement sécuritaires. Tous les gouvernements israéliens ont fait tout leur possible pour souligner l’importance des colonies dans leur agenda politique. De plus, cette étude suggère qu’Israël est prêt, pour cet investissement en Cisjordanie, à accepter les critiques, quelle que soit leur provenance.
Le cas de la route 443, à côté du bloc de Mod’in ‘Illit, va dans le même sens. La route a été construite après l’occupation de la Cisjordanie en 1967, pour connecter les routes de Jérusalem et Tel Aviv, tout en passant par la zone de Mod’in ‘Illit. La construction de la route a été disputée devant la Haute Cour, dans la mesure où elle entraînait la confiscation de terres palestiniennes. L’argumentation derrière la construction de cette route consistait à affirmer que cette route était destinée à répondre aux besoins des villageois palestiniens, ce qui expliquait que la route passe par (ou près) de nombreux villages.
La route est ainsi devenue l’artère principale desservant Ramallah et le reste de la Cisjordanie pour 35 000 Palestiniens. La route a fini par remplacer de nombreuses routes en piteux état, qui devenaient de moins en moins fiable au fur et à mesure que le nombre de véhicules augmentait en Cisjordanie. Cependant, la cour a également autorisé que les colons israéliens et le personnel militaire à utiliser la route, ce qui implique que la route est automatiquement sous contrôle total d’Israël. Cela a permis à Israël d’imposer des restrictions sur l’utilisation de la route par les Palestiniens, par des amendes ou des interdictions. Cette décision de la cour a aussi laissé le champ libre à un traitement préférentiel pour les utilisateurs israéliens de la route, bien que celle-ci ait été construite dans son intégralité sur des terres palestiniennes.
Après des attaques sur des voitures israéliennes qui empruntaient souvent la route, l’armée israélienne a unilatéralement décidé de fermer la route pour les Palestiniens. Cette décision était légalement remarquable, dans la mesure où aucun ordre militaire n’a été donné, sur le terrain. La route a été fermée par des patrouilles militaires régulières, des checkpoints, des portes en acier des tours de garde et des obstacles divers.
Cela implique que la haute cour de justice serait dans l’obligation de traiter ce cas un peu à part. quoi qu’il en soit, les Palestiniens ont été forcés par la fermeture de la route 443 d’utiliser des routes inachevées, non pavées, pour atteindre leurs champs de l’autre côté de la route ou pour se rendre à Ramallah et dans le reste de la Cisjordanie. Cette interdiction implique que les Palestiniens auraient à passer de 45 minutes à une heure en plus pour atteindre leurs champs, un trajet qui prenait 10 minutes en utilisant la route 443.
Sans mentionner, en outre, le fardeau économique qui pèse sur les habitants du village. Ils dépendent de Ramallah, le centre économique de la zone, pour leur subsistance. La fermeture de la route ne signifie pas seulement qu’il fallait plus de temps pour atteindre leurs destinations et que le trajet était moins confortable, mais aussi qu’il était impossible à certaines heures d’atteindre ces destinations. D’autre part, Israël aurait pu interdire l’utilisation de la route 443 par les Israéliens si la sécurité était réellement leur préoccupation principale. Israël cependant a prouvé qu’il valorisait plus le confort des colons que le gagne-pain des Palestiniens.
La route a utilisé des terres de particuliers palestiniens pour sa construction, mais de manière plus significative encore, limite l’accès à d’autres terres des deux côtés de la route. La route 443 fait 17 kilomètres de long et est construite uniquement sur des terres privées palestiniennes. En droit international, cela signifie que ces terres ne peuvent être fermées, dans la mesure où la fermeture des terres constitue une restriction à la liberté de mouvement dans le territoire dans lequel les Palestiniens vivent légalement.
Le résultat des actions israéliennes signifie que cette route fait désormais partie du réseau de routes de contournement en Cisjordanie, réservés aux colons.
Israël a alors commencé la construction d’une nouvelle route, à la place de la route 443, qui aurait pris plus encore de terres privées palestiniennes aux habitants des villages. Le poids économique qui pèse sur les habitants des villages est immense ; les villageois dépendent de Ramallah, le cœur économique de la région, pour leur subsistance. La fermeture de la route n’implique pas seulement une hausse du temps de trajet ou un moindre confort, mais aussi l’impossibilité, à certaines heures, d’atteindre ces destinations.
Au lieu d’utiliser leurs propres voitures, les agriculteurs étaient obligés d’utiliser les transports publics, ce qui revient plus cher. Utiliser cette nouvelle route et ces nouveaux moyens de transport oblige les agriculteurs à faire le pied de grue aux checkpoints, qui nécessitent d’attendre dans de longues files avant de pouvoir traverser. Cela veut également dire que ces villageois, des agriculteurs dans leur immense majorité, perdent encore plus de leurs terres pour la construction de ces nouvelles routes ; en outre, plus de « 100 petits magasins dans les villages le long du tracé de la route, ont fermé ; parmi eux, on trouvait des magasins de carrelage, des fleuristes, des magasins de meubles et des restaurants ». Ces fermetures ont dévasté l’économie locale ; elles ont eu, en plus d’effets intangibles sur la relations de ces habitants avec Ramallah, où beaucoup de leurs proches vivent, des effets plus concrets, sur leur accès aux services sociaux, aux urgences, et aux hôpitaux, disponibles uniquement à Ramallah.
Dans le village de Saffa, 250 dunums de terres palestiniennes ont été saisies, « les arbres ont été déracinés et la terre nivelée » afin de construire le mur, pour protéger les colonies. Cette partie du mur a été construite afin d’entourer la colonie de Menora, au sein du bloc de Mod’in ‘Illit. Il encercle 2100 dunums de propriété de particuliers palestiniens, qui produisaient par an un demi-million de shekels d’huile d’olive. La plupart de cette terre est destinée à être utilisée pour les projets d’expansion de la colonie, certains projets n’étant pas même approuvés. La perte pour les habitants du village est irremplaçable. 33% des terres du village sont désormais affectés par l’existence de la colonie, des routes de contournement et du mur. B’Tselem rapporte ainsi qu’ « Israël doit déclarer la zone entre le mur et la Ligne verte zone militaire fermée.
Dès lors, les Palestiniens ne seront autorisés à accéder à leurs terres à l’ouest de la barrière que s’ils disposent d’un permis de l’administration civile ; ce permis est soumis aux conclusions du GSS, le General Security Service, qui doit considérer qu’accorder le permis au demandeur ne présente aucun risque en termes de sécurité , mais est également soumis à la capacité du demandeur du permis à prouver qu’il est bien propriétaire de terres dans la zone militaire fermée. En se basant sur les expériences passées, certains se verront refuser l’accès à leurs terres » Les permis toutefois ne résolvent pas les problèmes, fort pressants dans les villages. Les permis n’autorisent toujours pas la construction, pourtant un problème majeur dans le cas de pertes de terres, ni n’autorisent le bétail à brouter sur leurs terres à l’ouest du mur.
Cela entraine certains habitants du village à migrer et à reconsidérer leur dépendance au bétail pour leur subsistance. Malheureusement, comme le note B’Tselem, cela pourrait bien être le cadet des soucis des habitants du village. Les expériences précédentes et des preuves actuelles tendent vers l’issue inévitable de l’emplacement du mur. C’est-à-dire que la plupart de ces terres finiront par être des sites destinés à la construction pour les colons de Menora.
« Le nettoyage ethnique » est un terme qui a été utilisé pour décrire les actions menées contre les Palestiniens avant, pendant et même après la guerre de 1948. On pouvait voir un pouvoir militaire tuant, emprisonnant et expulsant systématiquement des groupes d’autochtones de leurs maisons, en se basant exclusivement sur leur ethnicité. Bien qu’il ne faille pas le confondre avec un cas classique ou un cas d’école de nettoyage ethnique telle que la communauté internationale le définit, la façon dont Israël traite les zones de Cisjordanie près du mur est en quelque sorte comparable.
Israël, au lieu de s’emparer des maisons de tous les Palestiniens dans les villages près du mur contrôle systématiquement les terres et les moyens de subsistance des habitants ; quitter le territoire devient la seule option viable pour les Palestiniens. Les colonies israéliennes, le mur, les routes de contournement et le système de permis limitent drastiquement les options aux yeux de la jeunesse palestinienne, les forçant à abandonner leurs villages et leurs terres afin de chercher leur droit à la vie, la liberté et à la recherche du bonheur autre part.
Les évènements dans les villages aux frontières sont étrangement similaires ; après la saisie de 25 dunums de terres, sur les 30 qu’il possédait, et l’avoir ainsi jeté dans la pauvreté, Suliman Yassin, 69 ans, du village voisin de Bil’in, disait en 2005 que « non seulement la barrière a endommagé nos moyens de subsistance, mais elle a aussi détruit notre vie privée. Des caméras recensent tous les mouvements, tout qui se passe près de la barrière. La maison de ma femme se situe très près de la barrière […] Je me sens humilié, harcelé en permanence, je ne sais pas quoi faire.
Les habitants des villages d’Al Burj, de Saffa, Kharbatha El Misbah, Beit ‘Ur El Tahta, Beit ‘Ur El Fuqa et de Beituniya ont déposé une pétition demandant le droit d’utiliser la route 443. Le cas est resté à la cour pendant 29 mois. Finalement, le 29 décembre 2009, la cour a ordonné à l’armée d’ouvrir la route aux Palestiniens avant la fin d’une période de transition de 5 mois. Les habitants de Beituniya semblent condamnés à supporter l’essentiel du poids de cet ordre militaire. L’armée assure le respect de ces ordres en Cisjordanie ; à ce titre, l’armée a décidé le déploiement de nouvelles mesures de sécurité, tout en décidant l’adoption de plusieurs mesures de sécurité avant que la route ne soit ouverte aux Palestiniens.
L’administration militaire de « Judée et Samarie » a ordonné la confiscation de 173 dunums de terres privées palestiniennes dans la zone. En effet, l’armée voulait construire le checkpoint d’Ofar, afin de contrôler et de suivre les mouvements des Palestiniens sur la route 443, ainsi qu’un mur de protection autour de la route. Le montant des terres confisquées s’élève à 284 dunums dans la zone, ce qui renforcera la destruction et la confiscation de plusieurs terres et compliquer plus encore la vie quotidienne dans les villages. Au lieu de fermer la route de manière informelle celle-ci est désormais inaccessible à la plupart des Palestiniens, sauf pour ceux étant autorisés à traverser le nouveau checkpoint.
L’effondrement des campagnes palestiniennes devient de plus en plus inévitable, conséquence des colonies et de l’étendue des sacrifices qu’Israël est prêt à consentir afin de protéger leurs intérêts économiques, politiques et, au minimum, sécuritaires. Afin de protéger les intérêts des promoteurs immobiliers et d’empêcher les Israéliens d’utiliser les routes sur la ligne verte, des dizaines de milliers de Palestiniens doivent modifier des caractéristiques essentielles de leur vie et de leur subsistance.
La colonie de Zufin (Tzufim)
La colonie de Zufin se situe sur 622 dunums de terres du district de Qalqilya et accueille 1143 colons. La juridiction de la colonie couvre, et donc contrôle effectivement environ 2000 dunums, la plupart sur les terres du village de Jayyus.
Comme dans la plupart des colonies en Cisjordanie, il est difficile d’estimer les coûts du logement dans la colonie. Plus encore, il est impossible de connaître, en particulier pour un Palestinien, les coûts exacts de sécurité, de maintenance et plus encore des incitations financières versées par l’Etat, qui encouragent les colons à venir habiter dans de telles colonies. D’autre part, en regardant les projets de protection de cette colonie, cela peut donner une idée de l’étendue des coûts de l’existence de telles colonies pour les Palestiniens
Comme la plupart des colonies près de la Ligne verte, Zufin est désormais incluse dans la partie israélienne du mur, et cela malgré le fait que la colonie dans son intégralité se trouve du côté palestinien du mur. L’inclusion de la colonie du côté israélien a été l’objet d’une argumentation assez franche de la part d’Israël. Le bureau du procureur général d’Israël a ainsi admis explicitement que le projet d’expansion de la colonie avait été pris en compte lors du choix du tracé du mur dans cette zone. C’est ainsi une méthode très différente de celle généralement employée par des fonctionnaires qui sont le plus souvent discrets.
Les fonctionnaires israéliens ont tendance à justifier l’inclusion de telles zones par des impératifs de sécurité ou par des difficultés à trouver des alternatives. Le projet est assez limpide aussi de par les faits établis sur le terrain ; l’existence d’une séparation entre le mur et les frontières de la colonie empêche la construction de quartiers supplémentaires pour la colonie. Cette zone est destinée à séparer le mur des colonies ; par conséquent, d’autres zones doivent être confisquées, ce qui a déjà été fait. Ainsi, la zone urbanisée a été comptabilisée deux fois.
Pareillement, Israël a choisi un tracé difficile en termes de topographie afin de s’emparer de plus de terres, ce qui a conduit le mur près des maisons de Jayyus. B’Tselem rapporte que d’autres tracés auraient pu être utilisés, qui éloigneraient le mur de Jayyus et qui seraient plus adéquat en termes de topographie. Le nouveau tracé ne passerait pas par des zones en basse altitude si ce tracé allait à l’encontre du but fixé, à savoir d’avoir un mur de 9 mètres de haut au milieu de zones fortement peuplées. Cependant, et de manière assez caractéristique, Israël refuse de construire le mur si les avantages économiques et politiques ne sont pas au rendez-vous.
Le village de Zufin, parce qu’il est encerclé par mur, constitue un exemple représentatif de la vie à proximité des colonies. Toutes les terres de la colonie ainsi que les terres utilisées pour construire le mur et constituer la zone tampon ont été prises aux villageois de Jayyus. Plus important encore pour leur futur, la nouvelle situation leur interdit l’accès au reste de leurs terres agricoles, à l’ouest du mur. La superficie de ces terres s’élève à 8500 dunums, soit 70% des terres des villageois de Jayyus, dont l’immense majorité appartient à des agriculteurs qui dépendent quasi-entièrement de l’agriculture pour leurs revenus.
Israël a essayé de répondre à l’indignation née de ce problème en accordant aux Palestiniens des permis d’entrée. L’obtention d’un permis est limitée à ceux qui parviennent à prouver à l’armée que le mur a rendu leurs terres inaccessibles. Cependant, l’armée rejette les demandes de permis assez fréquemment. D’octobre 2003 à mars 2004, 273 demandes de permis ont été rejetées. Par comparaison, depuis lors, 541 permis ont été émis, 20 ont été refusés. Ces refus sont basés sur des critères variés, des raisons de sécurité à l’absence de document « valide » prouvant la possession de la terre. D’autre part, ce critère est extrêmement subjectif ; il est examiné par l’armée, ce qui rend les refus et les validations de permis extrêmement difficile à comprendre. Cela se reflète dans le système d’appel appliqué sur le terrain.
Bien que les propriétaires puissent interjeter appel de leurs refus de demande de permis, ils ne peuvent en revanche apparaître devant la cour pour présenter leurs cas. Pire encore, les propriétaires qui se voient refuser les permis n’ont droit à aucune compensation pour les pertes engendrées par l’inaccessibilité de leurs terres. La seule solution à certains cas consiste à approcher la Haute cour, dont le jugement a causé la chute du nombre refus de permis. De manière regrettable, ce système judiciaire est étranger, difficile à comprendre et cher pour les agriculteurs palestiniens, d’autant plus qu’ils sont pauvres.
De manière assez ironique, lorsqu’Israël décide d’accorder des permis pour accéder à la « zone charnière », (la « Seam zone », entre le mur et la ligne verte), c’est souvent afin de dissimuler ses intentions. Israël cherche à rendre impossible aux Palestiniens la culture de leurs terres dans la zone, même pour ceux disposant de permis. Dans un témoignage recueilli par B’Tselem, Itaf Ahmad Sa’id Khaled, un habitant de Jayyus, affirmait en novembre 2005 au sujet de ses terres, désormais situé à l’ouest du mur :
« J’ai cinquante-sept ans et je suis marié. Nous avons vingt-deux dunums de terres situées à l’ouest de la clôture de séparation. Depuis 1989, j’ai travaillé cette terre. Les récoltes sont la seule source de subsistance de notre famille, nous sommes tous impliqués dans la production. Mon mari, nos fils et moi avons reçu des permis pour passer à travers une seule porte [du mur] pour atteindre nos terres. En janvier 2005, mon mari a soumis une requête au bureau de coordination du district, à Qedumin, afin de renouveler tous nos permis. Les demandes ont été rejetées pour mon mari et mes enfants, et je n’ai eu qu’un permis de six mois. Ils ont soumis de nouvelles demandes, à plusieurs reprises, la dernière ce mois-ci [novembre] ; toutes ont été rejetées ».
« Je suis incapable de cultiver la terre toute seule… Mon mari a du contacter un agriculteur disposant d’un permis de passage, et s’accorder avec lui pour travailler sur notre terre. L’agriculteur reçoit, en guise de paiement, un tiers de la récolte [environ 40 000 NIS]. Mais on ne peut pas comparer la qualité de la culture de la terre – on prend bien plus soin de la terre lorsqu’on la possède ».
Le système de permis a aussi un côté logistique écrasant pour les Palestiniens. La seule façon d’accéder à ses terres, avec un permis, consiste à passer par des portes surveillées, situées à certains endroits le long du mur, qui opèrent à des heures spécifiques. Comme nous l’avons vu précédemment, ce système augmente la durée et les coûts du trajet, en plus des limites mises au pâturage, à la culture et aux heures d’accès. Les distances s’en trouvent augmentés, mais à cela s’ajoute les files d’attente aux portes et leurs horaires de fermeture ; utiliser ces portes est ainsi épuisant pour les agriculteurs. Ainsi, seules deux portes destinées aux agriculteurs servent l’intégralité des habitants de Jayyus, environ 3700 personnes.
Le président de la Haute Cour, Aharon Barak, cité par B’Tselem, disait ainsi de cette situation:
« La situation actuelle nuit fortement aux agriculteurs, puisque l’accès à leurs terres (tôt le matin, dans l’après-midi et dans la soirée) sera sujet à des restrictions inhérentes au système de permis. Un tel système entraînera de longues files d’attente pour le passage des agriculteurs eux-mêmes, et rendra la traversée des véhicules (qui ont eux-mêmes besoin d’un permis spécial et doivent être examinés) difficile. De plus, ce système rendra les terres plus distances des agriculteurs (puisque seules deux portes ouvertes le jour sont prévues sur ce segment du mur). En conséquence, la vie des agriculteurs sera profondément bouleversée. Le tracé de la clôture de séparation viole sévèrement leurs droits à la propriété et leur liberté de mouvement. Leurs moyens de subsistance sont sévèrement réduits. La difficile réalité qu’ils ont connu (à cause, notamment, d’un fort taux de chômage dans la région) est appelée à empirer encore. »
La colonie d’Alfe Menashe:
Alfe Menashe s’étend sur 2900 dunums de terres des villages d’Habla et d’Azzun et compte 6600 colons. Néanmoins, c’est là le moindre mal que la colonie a causé. Israël a admis, lors de la construction du mur dans cette zone, que ses intérêts en termes de sécurité n’avaient pas été les seuls intérêts pris en compte ; les projets d’expansion de la colonie ont aussi joué un rôle central dans la détermination du tracé du mur. Cela demeure cependant, un cas très intéressant, puisqu’officiellement, jusqu’en avril 2010, le tracé originel et la construction du mur rejetaient les villages autour d’Alfe Menashe (à savoir a-Dab’a et Ras a-Tira) dans une enclave. Ils étaient donc totalement coupés du reste de la Cisjordanie, mis à part une porte surveillée à laquelle ils n’avaient qu’un accès limité.
Les agriculteurs se voyaient délivrer des permis spéciaux pour quitter l’enclave et rejoindre la Cisjordanie. Il va sans dire que cela restreignait leur liberté de mouvement et d’expansion. Cela devient encore plus crucial quand on s’aperçoit que les villages alentours ne sont que des hameaux, qui dépendent quasi-entièrement de l’accès à des centres économiques plus importants à Qalqilya et Habla pour leur subsistance et leurs besoins quotidiens de base. Evidemment, à cela s’ajoute la négation des liens familiaux entre les habitants du village et ceux des habitants des environs, dont ils sont désormais séparés.
Les habitants de la zone désireux d’y rester ont été obligés de se procurer des cartes spéciales, destinés aux habitants de la zone charnière, seule façon pour eux d’atteindre le reste de la Cisjordanie. Ces cartes permettent aux villageois « de passer par une porte de la barrière, à laquelle ils doivent attendre dans la queue, montrer leur permis et se soumettre à une fouille corporelle ». Ce processus est évidemment chronophage, mais, bien plus que cela, il est dégradant, à la fois socialement et selon le droit international humanitaire. Cependant, les habitants du village ne pouvaient se soustraire à ce processus, dans la mesure où ils étaient forcés de quitter l’enclave pour acheter des biens et vendre leurs produits.
Il est également essentiel de reconnaître les effets de cette situation sur la santé en général, à savoir qu’il n’existe pas même un médecin palestinien au sein de l’enclave. L’OMS a ainsi rapporté en juillet 2010 que « l’enclave de Barta’a [qui comporte] 5600 habitants, recevait la visite d’une équipe médicale mobile de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East – Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient) ; cependant, depuis septembre 2007, l’UNRWA n’a pas pu accéder à l’enclave [à cause de restrictions israéliennes] et les programmes ont été suspendus. » Cela vient s’ajouter à la crise née de l’interdiction d’entrer dans l’enclave pour les médecins palestiniens.
Pareillement, le mouvement des voitures était limité ; seuls les propriétaires de voitures étaient autorisés à passer la porte à bord de leurs véhicules. En conséquence, tous les Palestiniens doivent prendre en compte les horaires d’ouverture de la porte, car le calendrier est scrupuleusement respecté. Ce système est peut-être le mieux illustré par les horaires d’ouverture pour les écoles. Les portes du mur étaient, à un moment donné, ouvertes seulement trois fois par jour, principalement pour permettre aux enfants d’aller à l’école à Habla. Cela peut sembler scandaleux au premier abord, mais pendant une période donnée, l’emploi du temps était établi de cette manière là.
En 2010, la Haute Cour a ordonné la modification du tracé du mur afin de contourner les villages et les réintégrer en Cisjordanie. Cette décision est bienvenue pour les habitants du village, bien qu’elle reste très tardive et qu’elle ne prévoit aucune compensation. Les habitants du village, peu ou prou pendant les cinq dernières années, ont été obligés de vendre à perte l’intégralité de leurs serres, car ils ne pouvaient y accéder à travers le mur. Ils ont été, pendant cinq ans, forcés de marcher sur des distances éreintantes, alors que ces mêmes trajets ne leur prenaient peu de temps avant la construction du mur. Les habitants du village, de par cette nouvelle décision, ont perdu la plupart de leurs terres au nord de leurs villages. Le mur sépare toujours les villageois de leurs moyens de subsistance, mais en d’autres endroits. Cependant, les décisions de la Haute Cour sont exécutées sur le terrain en Cisjordanie par l’armée. Par le passé, ce système a montré que les ordres n’étaient pas toujours exécutés entièrement, principalement à cause d’ « arrangements militaires ». A Nil’in, tout comme à Kherbet Jabara ou pour la route 443, l’armée a traité les ordres de la Haute cour comme de simples suggestions. Bien que les ordres spécifiaient bien de changer totalement le tracé du mur dans la zone, l’armée, en raison de « nécessités militaires », n’a effectué que des changements mineurs, qui n’ont finalement pas modifié l’impact négatif que le mur a sur les habitants de ces villages.
Le futur:
Depuis 43 ans que la Cisjordanie est occupée, le processus de colonisation n’a jamais été le fruit d’un parti politique particulier. Les premiers ministres des premières années, qui ont ordonné la mise en place de la colonisation étaient considérés comme des personnalités de gauche et du Parti travailliste. Cependant, l’influence accrue de gens comme Avigdor Lieberman n’est pas un facteur encourageant pour le futur. D’importantes colonies sont en train d’être prévues et construites au moment même où vous lisez ces lignes. Le parti de Lieberman a gagné 15 sièges lors des dernières élections à la Knesset, quatre de plus que le parti travailliste. Le parti était totalement inconnu il y a cinq ans. Ce climat politique extrême permet à plus de fondamentalistes de chercher à prendre le pouvoir, ce qui, historiquement, a conduit à une intensification de l’expansion des colonies en Cisjordanie et à un renforcement des colonies déjà existantes.
La colonie de Ma’ale Adumin n’en est qu’un exemple. Immense, Ma’ale Adumin est entièrement construite en Cisjordanie et fait 11,5 fois la taille de tous les villages palestiniens des alentours combinés, ce qui la rend plus grande en superficie que Tel Aviv. Cette zone gigantesque accueille 33 000 colons, ce qui représente la moitié de la population des villages alentours. Cette colonie s’est agrandie à un rythme incroyable : elle a doublé en taille les seize dernières années et sa population a augmenté de 18000 personnes. Ma’ale Adumin diffère cependant de Tel Aviv en ce que sa population représente moins de 10% des quelques 400 000 habitants que compte la ville côtière. C’est, à tous égards, un signe de la direction et du but de cette colonie ainsi que de toutes les colonies de Cisjordanie. Ces colonies ne résolvent pas simplement un problème de logement, elles cherchent à contrôler autant de terres en Cisjordanie que possible, tout en séparant autant de Palestiniens de leurs terres et entre eux que possible.
Dans la même lignée, en 2009, avant le gel des colonies, la construction de 509 logements dans les colonies de Cisjordanie et de 508 dans la colonie de Jérusalem-Est avait commencé ; cela représente un quart de toutes les constructions du gouvernement israélien cette année-là. Sans parler des 200 appartements construits par des particuliers, vendus en Cisjordanie. Après novembre 2009, 423 violations du gel des colonies ont pu être observées en Cisjordanie. Bien que cette situation puisse sembler normale dans un contexte aussi polarisant que celui des colonies, cela demeure un fait troublant. En effet, l’Etat ne fait en général pas respecter la loi contre la construction illégale dans les colonies, ce qui implique que la plupart des nouvelles constructions sont appelées à durer. L’absence de sanction doit susciter des interrogations, voire des doutes sur la volonté de l’Etat de faire appliquer la loi lorsque son application bénéficie aux Palestiniens.
Des nouveaux projets naissent chaque jour, malgré tout. Près de Bethléem, les projets de la plus grande colonie à ce jour sont en train d’être approuvés, à savoir les plans de Giva’t Yael. Le rôle de la colonie est de founir à 55 000 immigrants juifs des nouveaux logements en Cisjordanie occupée. De plus, elle cherche à accomplir une mission encore plus cruciale, en connectant Har Gilo et Gilo en une bande qui isolera complètement Jérusalem de la partie Sud de la Cisjordanie, tout en confisquant plus de terres à Walaja. Giva’t Yael n’est que le dernier exemple d’une colonie de cette taille à être approuvé, et Israël ne montre aucun signe de ralentissement.
La crise persiste. OCHA rapportait en 2010 que “près de 40% de la population palestinienne souffre d’insécurité alimentaire. La plupart des Palestiniens ne peuvent exercer leurs droits élémentaires à la liberté de mouvement, aux services de base et à l’auto-détermination. ». Cette situation est le résultat de l’installation de colonies et des restrictions qu’Israël impose aux Palestiniens afin de les conserver.
Le gel n’est pas la solution ; dans sa forme actuelle, il constitue même une partie du problème. La solution n’est pas même l’arrêt permanent de la construction des colonies, ni le nouveau plan, dit « Fabric of Life », destiné à faciliter la vie des palestiniens et de normaliser l’occupation. La solution demeure l’évacuation de ces colonies, rien de plus, mais rien de moins non plus. Cela n’implique pas une procédure similaire à celle de Gaza. « En 2005, malgré le climat positif qui prévalait après l’évacuation d’environ 8 000 colons israéliens de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie, la pauvreté a empiré. Soixante-quatre pour cent de la population palestinienne vit dans la pauvreté, 32% dans l’extrême pauvreté.
Cette information, quoiqu’un peu datée, est cruciale pour comprendre et souligner les conséquences de la version israélienne du désengagement. L’armée israélienne contrôle toujours toutes les entrées de Gaza et limite ses rares exportations, tout en se dégageant de toute responsabilité de cette politique. D’autre part, cette baisse de la qualité de vie ne signifie pas que l’économie gazaouite était basée sur les exportations vers Israël et qu’elle s’est donc effondrée du fait du siège.
Cela indique toutefois que selon les règles établies par Israël, les Palestiniens doivent vivre dans des cages, contrôlées de tous côtés. Tout cela se conjugue avec la destruction, ou dans le meilleur des cas avec la paralysie, de toutes les bases d’une économie saine dans les territoires palestiniens occupés. Si les colonies ne sont pas complètement évacuées, elles resteront un fardeau sur le système, fragile, des ressources de Cisjordanie et demeureront un obstacle à l’unité et à l’indépendance palestinienne.
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[1] Article 49 of the fourth Geneva convention
[2] Land Grab (B’Tselem, 2002)
[3] ARIJ ; pendant la préparation de ce rapport, B’Tselem a publié un travail ne citant que 121 colonies. C’est la première fois que B’Tselem ne reconnaît pas le reste des colonies de Cisjordanie.
[5] “Foul Play: Neglect of Wastewater Treatment in the West Bank”. B’Tselem, 2009
[7] “Foul Play: Neglect of Wastewater Treatment in the West Bank”. B’Tselem, 2009
[8] “Foul Play: Neglect of Wastewater Treatment in the West Bank”. B’Tselem, 2009
[10] B’Tselem, Annual Report 2010.
[11] Under the Guise of Security, B’Tselem, 2006
[12] L’exécution de ce master plan doit être fait en trois étapes. La première étape, dont la fin est prévue d’ici à 2005, prévoit 9000 logements. Les étapes 2 et 3, don’t les fins sont prévues respectivement d’ici à 2012 et 2019, prévoient la construction de 16 000 logements . Source :
Under the Guise of Security, B’Tselem, 2006
[15] Under the Guise of Security, B’Tselem, 2006
[16] “The testimony was given to Iyad Haddad at the witness’s house on 20 July 2005.” [From source] Under the Guise of Security, B’Tselem, 2006
[17] OCHA, Annual report, 2009
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