Le 1er janvier 2012, le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou a révélé l’intention de son pays de construire une clôture de sécurité le long des frontières Nord avec le Liban et Ouest avec la Jordanie, après la fin de la construction de la clôture le long de la frontière Sud avec l’Egypte. Toutes ont été construites sous des prétextes de sécurité et pour contrôler l’infiltration d’immigrants illégaux. Durant un briefing sur une session de gouvernement, Netanyahou a déclaré qu’Israël installerait deux clôtures de sécurité : la première s’étendra sur 240 km le long des frontières Ouest avec la Jordanie pour un coût total de 360 millions de dollars, la seconde clôture sera installée le long des frontières israélo-libanaises (de al Matalla à Kafr Killa) pour une longueur totale de 1 km et sur cinq mètres de haut.
Cette décision est une tentative des colons israéliens de s’installer sur la côte Est du Jourdain et d’ériger des avant-postes sur le territoire jordanien. De plus, la décision coïncide avec un réveil des pays arabes qui expriment leur ressentiment et leur colère à l’égard de l’occupation militaire prolongée d’Israël sur les Territoires Palestiniens, ainsi qu’à l’égard des pratiques agressives et coloniales contre le peuple palestinien et ses terres. De nombreux mouvements populaires de jeunes se sont rassemblés dans les pays voisins et notamment en Jordanie appelant à des manifestations vers la frontière israélo-palestinienne, afin d’exprimer leur rejet de l’occupation israélienne et de ses méfaits.
Il ne fait aucun doute que la frontière jordanienne est d’une importance stratégique dans l’esprit des dirigeants israéliens à travers les années. La considération la plus importante est que la frontière jordanienne s’étend sur 240 km du Nord jusqu’aux régions du Sud, en passant par la partie Est de la Cisjordanie ce qui comprend la vallée du Jourdain et les rives de la Mer Morte. Cela en fait donc la frontière la plus longue frontière que la Palestine occupée ait avec un autre pays. Ainsi, la Zone de Ségrégation de l’Est, incluant la vallée du Jourdain, est parsemée de colonies israéliennes, de bases militaires, de bases d’entrainements, sans compter que cette zone est très riche en ressources naturelles.
La zone de ségrégation Orientale, faits et chiffres
Dès le moment où Israël a occupé les Territoires Palestiniens (Cisjordanie, Jérusalem-Est et Bande de Gaza) en juin 1967, la Puissance Occupante a systématiquement mis au point des plans coloniaux de long-terme et particulièrement sur la Zone de Ségrégation Orientale, que les israéliens ont déclaré « zone militaire fermée ». Avec cette politique, Israël tente de maintenir une domination de terrain sur cette zone, importante d’une part par sa position militaire stratégique, et d’autre part par sa richesse en ressources naturelles.
A travers 45 ans d’occupation militaire sur les Territoires Palestiniens, la Zone de Ségrégation Orientale a été sujet à des plans israéliens méthodiques qui ont conduit a déclarer 51,4 % de la surface totale comme « zone militaire fermée » (1664 km²), inaccessible aux palestiniens de la régions. D’autres régions ont été utilisées par les gouvernements israéliens successifs pour construire des colonies qui aujourd’hui s’étendent de la colonie de Mekhola à l’extrémité Nord de la zone jusqu’à celle de Mitzpe Shalim, à l’extrémité Sud le long des rives de la Mer Morte.
Ainsi, les gouvernements israéliens encouragent les colons à s’installer dans la vallée du Jourdain en leur offrant des privilèges tels que des avantages financiers et des exemptions de taxes. Pire encore, les autorités d’occupation les encouragent à cultiver les terres adjacentes afin de les annexer à leurs colonies. À ce jour, la superficie des terres agricoles saisies par les colons israéliens dans la Zone de Ségrégation Orientale est de 6400 hectares soit 64 km2 (7,4% de la superficie totale des terres agricoles de la Zone de Ségrégation Orientale 3,9 % de la superficie totale de la Zone). De ce fait, les habitants palestiniens de la région ont été privés de leur droit légitime d’exploiter et de cultiver leurs terres qui ont été confisqués par la force.
Voir Carte 1 : La zone d’agriculture juive dans la vallée du Jourdain.
Aujourd’hui, il y a 37 colonies israéliennes illégales dans la Zone de Ségrégation Orientale sur une surface de 3800 hectares et habitée par plus de 13 000 colons. De plus, les colons ont été autorisés à établir avec le soutien du gouvernement 32 avant-postes. L’armée israélienne a également procédé à de nouvelles confiscations de terres afin de construire 285 km de route de détournement (route contrôlée par les israéliens) pour faciliter le mouvement des colons de la Zone de Ségrégation Orientale aux autres colonies de Cisjordanie ainsi que vers la Zone de Ségrégation Occidentale et Israël. En conséquence, Israël contrôle de facto 95 % de la surface de la Zone. 9 % représente des zones minées, 25 % des réserves naturelles, 2,3 % des colonies, 2,8 % des bases militaires et enfin, 51,4 % de zone militaire fermée.
Voir carte 2 : Les Zones de Ségrégation Est et Ouest
Eradication systématique et déplacements forcés
En parallèle de l’expansion méthodique dans la Zone de Ségrégation Orientale depuis 1967, les gouvernements israéliens successifs font fuir les palestiniens en dehors des terres qui constituent un intérêt pour leur plans. Ils déclarent ainsi de vastes bandes de terres « zones militaires fermées » dans une logique de strangulation et de restrictions du développement social et économique de ces communautés palestiniennes. Ces politiques constituent un obstacle à la croissance de ces communautés dans la Zone de Ségrégation Orientale. Les politiques sont instrumentées afin de ne pas permettre aux communautés palestiniennes de croître en termes de surface ou de population. Par exemple, ces communautés sont interdites de construire, à moins qu’un permis de construire soit délivré par l’Administration Civile israélienne ce qui est une chose très rare. En effet, les statistiques obtenues à l’Administration civile israélienne montrent que, entre les années 2000 et 2007, 105 demandes de permis de construire ont été acceptées soit à peine 5,5% des 1890 demandes soumises à l’Administration civile. Le prétexte souvent avancé est que ces projets ne remplissent pas les conditions israéliennes pour construire dans la région ou que ces zones sont inconstructibles pour raison de sécurité (bien que les colons soient, eux, autorisés à y construire).
Israël a également fait en sorte d’avoir une solide emprise sur les ressources naturelles de la partie orientale de Cisjordanie, notamment les terres agricoles et les sources d’eau (puits et sources). Cela contraint les palestiniens à restreindre leur utilisation en eau, d’autant plus que les ressources en eau sont détournées au profit des colonies israéliennes, ce dans le but de presser les palestiniens de partir.
La politique israélienne de prendre contrôle de la Zone de Ségrégation Orientale est venue de Benjamin Netanyahou (Premier Ministre actuel) qui a déclaré le 3 juin 2005 que
« la vallée du Jourdain ne sera jamais incluse dans les plans de retrait israéliens. La vallée du Jourdain restera sous le contrôle d’Israël pour toujours. C’est le bouclier de défense israélien à l’Est. Nous ne retournerons pas aux frontières de 1967 ». Netanyahu a réaffirmé sa position sur la question lorsqu’il a été élu Premier Ministre d’Israël, plus particulièrement, dans ses discours s’adressant au ‘Comité Israélien de la Défense et des Affaires Etrangères» à la Knesset et devant le Congrès américain en 2010. La position de Netanyahou vient confirmer la vision de ses prédécesseurs concernant la Zone Orientale basée sur le «Plan Alon», du nom de Yigal Alon, le ministre israélien de la Défense et chef du Comité ministériel israélien sur les colonies qui l’a présenté. Ce plan appelle à redessiner les frontières d’Israël en renforçant son contrôle sur les collines orientales de Cisjordanie, du Nord au Sud, le long du désert bordant les rives de la Mer Morte (le soi-disant désert de Judée). Le Plan Alon prône la construction d’une chaîne de colonies de peuplement israéliennes d’une largeur d’environ 20 kilomètres du Jourdain jusqu’au cœur de la Cisjordanie comme une première étape vers l’annexion formelle à l’Etat d’Israël.
Aujourd’hui, il y a plus de 59 000 palestiniens résidents dans 43 communautés de la Zone de Ségrégation Orientale, souffrant de conditions de vie extrêmement oppressantes et marginalisantes, alors que leur droit légitime de construire et de s’épandre a été dénié par les autorités d’occupations israéliennes. En 2011, les bulldozers de l’armée israélienne ont démoli 90 maisons palestiniennes ainsi que de nombreuses autres structures telles que des granges animales. Ils ont également détruit une communauté entière de Bédouins dans la vallée du Jourdain tels que Khirbet Ras Al-Ahmar, Khirbet Al-Hadidiya, Khirbet Humsa, Al-Aqaba et Kherbit Tana dans le but de les faire quitter les terres qu’ils habitent depuis bien avant l’occupation israélienne de 1967.
En outre, les israéliens ont remis aux résidents palestiniens de la Zone de Ségrégation Orientale 167 ordres d’arrêt de travaux et ordres d’évacuation des installations sous prétexte qu’ils les ont construits sans permis.
La barrière avec la Jordanie, sécurité ou considérations politiques ?
Les prétextes employés par Netanyahou pour construire la barrière de sécurité le long des frontières orientales avec la Jordanie, fondés sur «la sécurité », et visant à empêcher les infiltrations et de sécuriser les frontières d’Israël, sont des prétextes injustifiés pour imposer la vision israélienne de la colonisation dans les négociations futures. Le «besoins de sécurité » des israéliens se fait toujours au détriment des Palestiniens et de leurs terres, de leur souveraineté, de leur liberté, de leurs ressources naturelles et de leur développement futur. Cela va finir par empêcher l’établissement d’un Etat palestinien viable, géographiquement continu et indépendant.
La décision d’installer une barrière de sécurité à la frontière jordanienne est injustifiée et est une action unilatérale d’Israël, sans aucune coordination avec les palestiniens. Cela reflète la mauvaise volonté israélienne et son refus de trouver une paix juste et durable par la négociation plutôt que par des faits imposés sur le terrain.
Il est important de mentionner que le gouvernement israélien a amorcé l’isolement des Territoires Palestiniens en juin 2002 quand il a commencé à construire le Mur de Ségrégation. Ce Mur a divisé les Territoires en deux zones. La première est la Zone de Ségrégation Ouest qui longe l’Ouest de la Cisjordanie et pénètre profondément dans les zones palestiniennes annexant les terres les plus fertiles. Le mur encercle également des groupes de palestiniens et les enferme dans des enclaves, la continuité géographique entre eux est rompue, ainsi que leur accès aux centres urbains. La seconde est la Zone de Ségrégation Est qui inclut la vallée du Jourdain (Est de la Cisjordanie contrôlée par l’armée grâce à des checkpoints installés le long des 240 km de frontières).
En 2004, l’ancien Premier Ministre israélien Ariel Sharon a été interrogé sur la Zone de Ségrégation Orientale et sur la vallée du Jourdain. Il a simplement répondu « la clôture Est sera maintenue pour bloquer l’accès à la vallée du Jourdain. […]Un mur n’est pas susceptible d’être érigé dans un avenir proche, à moins qu’il n’y ait des besoins militaires. […]La vallée du Jourdain restera sous contrôle israélien même si un accord avec les palestiniens est atteint, car elle est considérée comme une zone de sécurité stratégique. »
Israël a toujours considéré la Zone Orientale comme vitale pour sa sécurité et Israël n’y renoncera jamais, même au titre d’accords avec les palestiniens. Les autorités ont toujours présenté leurs projets coloniaux et expansionnistes comme servant les intérêts stratégiques et sécuritaires du pays.
Un projet catastrophe
La décision israélienne d’installer une clôture de sécurité le long de la frontière jordanienne contient une dimension plus grave encore que la dégradation des conditions de vie des palestiniens. Le Jourdain est considéré comme frontière naturelle reconnue internationalement. La Diplomatie des Murs israélienne vise en réalité à élargir le territoire israélien de la Mer Méditerranée à l’Ouest jusqu’aux rives du Jourdain à l’Est, négligeant ainsi le peuple palestinien et son droit à un Etat, dont la frontière jordanienne sera la principale porte d’entrée et de sortie vers le monde. Ainsi, la barrière de sécurité à la frontière jordanienne est le début du pire scénario envisageable : le déplacement forcé de tous les palestiniens vers la Jordanie, scénario considéré par certains groupes israéliens et leaders politiques comme plausibles, voyant en l’existence du peuple palestinien une menace continue à l’existence de l’Etat juif.
Conclusion
Il semble que l’aile droite du gouvernement de Benjamin Netanyahou oublie que son pays était et est toujours une Puissance Occupante selon les lois et conventions internationales. Par exemple, la résolution 242 adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations-Unis le 22 novembre 1967 demande « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit […] ainsi que le respect et la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque Etat de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force. »
L’indifférence de la communauté internationale au comportement d’Israël dans les Territoires Palestiniens, et son refus de prendre des mesures concrètes pour arrêter ce qu’Israël a pris l’habitude de faire pendant ces années d’occupation continues encourage le pays à violer les lois internationales et les Conventions de Genève notamment.
L’idée des dirigeants israéliens, forgés par plus de 45 années d’occupation, est que la paix et la sécurité peuvent être acquises par l’édification de murs et de clôtures, à l’heure à laquelle ils devraient aller de l’avant et lancer de sérieuses négociations avec les palestiniens pour parvenir à une paix juste et durable basée sur une solution à deux Etats.
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[1] La Zone de Ségrégation Orientale constitue 27% de la surface totale de Cisjordanie.
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